23 Aoû FMD 2016: La mode belge avec Didier Veraeren
Didier Veraeren le rappelle: l’histoire de la mode belge reste bien souvent dans l’ombre de la mode française, italienne ou anglaise. Et pourtant, la Belgique est un terreau fertile de créateurs innovants. Ann Demeulemeester, Raf Simons, Martin Margiela, Dries Van Noten: autant de noms qui ont révolutionné la mode à leur façon, et continuent de la marquer de leur empreinte si personnelle.
En conversation avec Stéphane Le Duc au Festival Mode & Design, Didier Veraeren est revenu sur l’identité de cette mode belge, son histoire et ses figures les plus emblématiques.
L’héritage de la “Belgitude”
Comment expliquer la “Belgitude”? C’est une façon de penser, une façon de créer. L’esprit belge est très excentrique. Il est très lié à son folklore et pourtant les belges ont pour tradition de détester leur pays.
La particularité de la Belgique
La Belgique est un pays récent puisque sa création remonte à 1830. On y trouve des influences françaises, hollandaises, espagnoles. Autre particularité, le pays parle deux langues: le Français et le Néerlandais. Ce sont deux façons de voir le monde.
Aux origines de la mode belge: un couple
La première maison de couture a été ouverte en 1815 à Bruxelles par un couple collectionneurs d’art: Norine et son mari Gustave. Ils étaient très amis avec les artistes impressionnistes et cubistes de l’époque. On faisait salon chez Norine et Gustave comme on faisait salon à Paris chez les Noailles. La création de cette maison de couture était très audacieuse car jusqu’alors, la mode belge ne faisait que reproduire les créations des maisons parisiennes. Norine était une femme très atypique, très singulière qui ne voulait pas suivre les règles de Paris. Elle a donc créé ses propres modèles. Elle a également demandé au frère de René Magritte, qui était musicien, de composer la musique de ses défilés. Il faut savoir qu’à cette époque à Paris, les mannequins défilaient sans musique. Pour promouvoir ses vêtements, Norine faisait défiler ses mannequins dans les soirées les plus chics de la ville. Une pratique que beaucoup ont repris ensuite.
Les années 1980: la mode belge fait parler d’elle
On commence à parler de la mode belge à partir des années 1980. Avant, la mode belge était plutôt liée à la tradition textile. Il y avait beaucoup d’usines, beaucoup de tissus et de tapisserie. Mais la Belgique n’avait pas une tradition de mode comme la France, l’Italie, l’Angleterre ou plus récemment les Etats-Unis. Le début des années 1980 a été marqué par une crise économique sans précédent. Pour tenter de redynamiser le secteur et d’expliquer aux consommateurs qu’il fallait consommer belge, le gouvernement a lancé un grand Plan Textile: “La mode, c’est belge”.
Le gouvernement a eu l’idée d’organiser un défilé de mode. Pour cela, il a lancé un concours qui permettait aux étudiants qui sortaient des écoles de mode d’obtenir une dotation pour acheter leurs tissus. Les étudiants étaient également mis en relation avec les fabricants belges pour réaliser leurs vêtements. Le concours a été un tel succès qu’il a été reconduit les années suivantes. La lauréate du concours en 1982 a été Ann Demeulemeester. Martin Margiela a tenté plusieurs fois le concours mais n’a jamais réussi.
L’École belge
Si on devait expliquer la mode belge aujourd’hui, avec le recul, on pourrait l’expliquer par ses écoles. La section mode de l’Académie Royale des Beaux-Arts d’Anvers a été créée en 1963. La Cambre a été créée en 1986. Les écoles de mode en Belgique ont depuis le début eu une connexion forte avec les créateurs puisque ce sont eux qui y enseignent. C’est ce qui garantit un vrai point de vue professionnel sur la mode. Les écoles de mode belges n’enseignent pas une vision rêvée de la mode. L’autre particularité des écoles de mode en Belgique est qu’elles ne sont pas dans des universités mais dans des écoles d’art. On n’étudie donc pas à côté de gens de marketing mais à côté d’autres artistes. Les écoles forment les étudiants à avoir une vision plus artistique et complète de ce qu’est un vêtement.
Le défilé des finissants en design de mode
Les écoles de mode belges accompagnent leurs étudiants jusqu’au bout. Le défilé de fin d’études est organisé comme un véritable événement. L’école travaille à créer une visibilité forte autour de l’événement. Et les étudiants sont responsables de tous les éléments de leur défilé, comme de véritables professionnels.
Les six d’Anvers
Ceux qu’on appelle “Les six d’Anvers” ont positionné la Belgique sur le plan mode de façon très redoutable. Cette histoire des six est arrivée dans le cadre du grand plan textile. Les six étudiants de l’Académie Royale des Beaux-Arts d’Anvers, Walter Van Beirendonck, Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Dirk Van Saene, Dirk Bikkembergs et Marina Yee, avaient chacun reçu de l’argent pour montrer leur collections à Londres. Une fois sur place, ils se sont retrouvés un peu perdu pendant la fashion week londonienne. Ils ont donc eu cette idée un peu drôle d’imprimer toutes leurs cartes d’affaires sur un même support et de placer quelqu’un à l’entrée des défilés qui faisait du rabattage” “Allez vois les 6 d’Anvers!”. L’expression est née de là.
Un succès sans précédent
Les 6 d’Anvers sont arrivés à un moment très privilégié pour les créateurs en Belgique. Il y avait une forte volonté de communiquer autour de la mode dans le pays. Ils sont également arrivés sur une scène mode encore réglée par Paris, mais où les japonais avaient déjà préparé le terrain à autre chose. Les designers belges avaient une vision plus radicale, plus moderne. Ils ont proposés une signature. Or sans signature dans la mode, on n’est personne.
Une définition de la mode belge contemporaine
Dans la mode belge, on ne travaille pas dans la tendance ou le produit. Il y a un esprit d’intemporalité qui s’installe du fait des idées très fortes qui se déclinent de collection en collection, selon les humeurs ou les rencontres.
La maison Delvaux
La maison Delvaux est souvent désignée comme le “Hermès belge”. Je dirais qu’Hermès est beaucoup dans la tradition, alors que Delvaux est très dans la création et la nouveauté. Le sac Le Briand en est un bon exemple. Le premier sac Le Briand a été dessiné en 1958 pour l’exposition universelle. Pour ses 50 ans, la maison Delvaux m’a demandé de proposer une édition extra large et noire. J’ai également proposé une série de neuf sacs, sur lesquels je me suis beaucoup amusé. La Belgique a un grand sens de la dérision qu’on retrouve bien dans ce sac.
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Texte : Sarah Meublat
Photographie: Images prises lors de la conférence par Gabrielle Ferland