21 Oct FMD 2016: Conversation avec Lise Watier et Jeanne Beker
Lise Watier et Jeanne Beker étaient réunies mercredi soir au Musée d’Art Contemporain pour une discussion fort inspirante, dans le cadre des conférences organisées par le Festival Mode & Design. Un moment privilégié et intimiste avec ces deux femmes dont le parcours et la personnalité attachante ne cessent de surprendre. La première a bâti un empire de la beauté avec sa force et sa douceur légendaires. La seconde s’est imposée comme une référence incontournable du journalisme de mode canadien. Derrière la différence de ces parcours, des similitudes indéniables entre les deux femmes sont apparues au fil de la conversation. Et notamment, cette détermination à ne jamais rien lâcher. Extraits d’un échange lumineux.
Surmonter sa timidité
Lise Watier: Quand on est timide, on cherche à mettre une carapace. À la télévision, j’ai appris à me tromper et à rire de moi. C’était live à l’époque, donc on ne pouvait pas se reprendre! Quel bonheur de pouvoir être soi. Personne n’aime les personnes parfaites. Il faut apprendre à être fou et ne pas être parfait. C’est ce que j’ai appris avec l’âge.
Jeanne Beker: Quand vous êtes vrais et authentiques, tout va bien. On ne dirait pas comme ça, mais je suis très timide. J’ai juste appris à l’oublier devant la caméra.
Ne jamais rien lâcher
Jeanne Beker: Mes parents sont des survivants de l’Holocauste donc j’ai grandi avec l’idée qu’il ne faut jamais avoir peur et ne surtout jamais rien lâcher. Je suis née en 1952, seulement sept ans après la fin de la guerre. Donc j’ai grandi avec ces histoires de survivance. Ce sont ces histoires qui font qui je suis aujourd’hui.
Lise Watier: J’ai grandi à Hochelaga-Maisonneuve. Nous n’avions pas beaucoup d’argent mais ma mère était toujours très élégante. C’est elle qui m’a enseigné l’importance de la qualité plutôt que la quantité. Elle m’a également donné le goût de me surpasser, de toujours aller plus loin. Ma mère avait beaucoup d’ambition.
Faire preuve de persévérance
Lise Watier: Toute ma vie, j’ai eu des bâtons dans les roues. Quand j’ai commencé l’Institut Lise Watier pour donner des cours de maquillage, puis que j’ai lancé ma ligne de cosmétiques, tout le monde disait “elle est folle cette fille-là. Ça va durer six mois”. Finalement, l’aventure a duré 46 ans! En me lançant en affaires, je pense même avoir ouvert la porte à plusieurs femmes qui se sont dit “si elle est capable, je peux aussi le faire”.
Jeanne Beker: Les gens me haïssaient quand j’ai commencé mon émission. Les gens disaient que je n’y connaissais rien en mode, que je n’avais rien à y faire, que j’étais énervante, trop ambitieuse, trop insistante, que mon nez était trop grand, que ma voix était trop agaçante…J’aurais pu me construire une armure mais si ton armure est trop épaisse, tu perds ta sensibilité et ce qui te rend bon dans ton job. J’allais donc dans les toilettes, je pleurais un peu, puis je revenais.
Suivre son instinct
Lise Watier: J’ai eu l’idée du parfum Neiges une nuit, comme une apparition. Le matin, au déjeuner, j’ai parlé de ma brillante idée à mon mari et mes deux filles. Les trois étaient unanimes: ça ne fonctionnerait jamais. Une fois au bureau, j’ai réuni mon équipe et proposé mon idée. Les réactions ont été moins tranchées mais on m’a suggéré d’organiser un concours interne pour trouver un nouveau nom. On m’a proposé de nombreux noms, je les ai écoutés, mais à la fin je leur ai dit: “le parfum s’appellera Neiges”. Je voulais que ce parfum soit un hommage aux femmes d’ici, qu’il évoque à la fois la force et la douceur. Le parfum a été une telle réussite que le stock que nous avions prévu pour les six prochains mois est parti en deux semaines. Les gens faisaient la file pour l’acheter. Je peux même dire que ce parfum a sauvé mon entreprise!
Surmonter les difficultés
Lise Watier: L’un des pires jours a été quand mon entreprise est passée au feu. Je rentrais à peine d’Europe alors mon mari m’a dit d’attendre le lendemain pour aller voir. Mais je voulais y aller tout de suite. Il parait que quand je suis arrivée sur les lieux, je me suis tout de suite remonté les manches. Il n’a pas été question un instant d’abandonner. Mon approche était plutôt: “On commence par quoi?”.
Jeanne Beker: Je pensais que j’avais tout, le parfait mari, les enfants, la maison, la carrière. Puis un jour, j’ai eu l’impression de me faire frapper par un camion: mon mari m’a dit qu’il ne voulait plus vivre avec moi. J’ai appris plus tard qu’il avait une relation avec quelqu’un d’autre. Dans la vie, tu peux te relever de tout à condition de ne pas avoir peur et d’être tenace.
Le plus gros défi
Jeanne Beker: Mon plus gros défi est de rester pertinente, de toujours avoir de nouvelles idées, de rester créative et de rendre tant que possible à la communauté. Tu reçois ce que tu donnes, j’ai pu le constater maintes et maintes fois dans ma vie.
Lise Watier: L’une de mes plus grosses épreuves a été quand j’ai cédé ma compagnie en 2007, puis quitté mon poste en 2013. On a vu de nombreuses photos de moi en train de pleurer. Ce n’était pas parce que je cédais mon poste, mais parce que mes employés m’avaient fait une vidéo avec des centaines de témoignages. Quelle émotion!
La Fondation Lise Watier
Lise Watier: Je n’ai pas cessé mon engagement envers les femmes. J’ai créé la Fondation Lise Watier pour aider les femmes à devenir financièrement indépendantes. Cette fondation s’adresse aux femmes qui ne savent pas où aller pour être indépendantes, soit parce qu’elles sont sous le joug de la pauvreté, soit parce qu’elles sont sous le joug d’un homme. Lorsqu’une femme réussit à changer, ce sont aussi ses enfants qui changent. La mère n’est alors plus une victime, et ses enfants la voient se prendre en main. Je suis devenue une quêteuse professionnelle (rires)! C’est très difficile car j’ai eu l’habitude de donner. C’est difficile de demander. Tous les revenus (pas seulement les profits, mais bien les revenus) des ventes du Mascara Dramatique de Lise Watier, le plus gros vendeur de la marque, sont reversés à la fondation.
Prove them wrong!
Lise Watier: Mon leitmotiv a toujours été: “I’ll prove them wrong!”. Je peux vous raconter une anecdote de ce qui s’est passé à Paris qui prouve qu’il faut le vouloir et qu’il faut y croire. Par un pur hasard, j’étais aux Ailes de la Mode à Brossard, en même temps que les gens du Printemps, le célèbre grand magasin parisien. Ils étaient de passage à Montréal afin de chercher des produits canadiens pour leur “Noël Canadien”. Lorsque je rencontre les acheteurs et que je leur propose mon parfum Neiges, je me fais dire avec un certain dédain: “Mais madame, nous sommes à Paris, un parfum est bien la dernière chose qu’on veut”. Comme l’opération était organisée par l’Ambassade du Canada à Paris et qu’ils avaient payés près d’un million de dollars pour ça, nous avons insisté et ils ont fini par plier.
Il était prévu que le produit le plus vendu de toute la promo serait référencé au magasin du Printemps. Or devinez quel produit a été le plus vendu? Mon parfum Neiges. Un peu plus tard, alors que je suis au Printemps en train de présenter mon parfum, un monsieur vient me voir. Cet homme était Dominique Mandonnaud, le fondateur de Sephora. Il me demande de lui raconter mon histoire, pas facile en quelques minutes, mais la connexion se fait lorsque je lui parle de l’incendie car il avait vécu la même épreuve. Il me propose alors de référencer mon parfum dans tous les magasins Sephora, à condition que je le retire du Printemps. Ce qu’on a fait!